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XXXVII
EUGÈNE DELACROIX.

mais quand la dernière touche est donnée, quand l’architecte de tout cet entassement de parties séparées a posé le faîte de son édifice bigarré et dit son dernier mot, on ne voit que lacunes ou encombrement, et l’ordonnance nulle part. »

À la suite de cette théorie, comme conséquence immédiate, nous trouvons celle des « sacrifices », cet art de mettre en lumière les parties saillantes et capitales de la composition par l’effacement voulu dans l’exécution des parties secondaires. Delacroix y voyait la suprême habileté du peintre, son plus difficile effort, un art qui ne peut être que le résultat d’une longue expérience. Lorsqu’il parle des « accessoires » en peinture, ce lui est une occasion nouvelle de développer sa théorie des sacrifices, car la manière de les traiter lui semble le critérium de l’habileté de l’artiste. Il y a deux choses qui selon lui caractérisent les mauvais peintres, et les empêchent d’atteindre au Beau : d’abord le défaut de conception d’ensemble, puis l’importance exagérée donnée à ce qui est éminemment relatif et secondaire. Ces idées d’unité dans la composition, de subordination des parties accessoires aux principales, le poursuivent et le hantent ; nous y trouvons une preuve nouvelle de ce besoin d’ordre et de méthode caractérisant une des faces les moins connues de son esprit, qui pourtant ne saurait être omise sous peine de l’ignorer en sa complexité. Même dans l’ébauche, ou la première indication du peintre, on doit voir cette subordination, car « les premiers linéaments par lesquels un maître indique sa pensée contiennent le germe de tout ce que l’ouvrage présentera de saillant ». Cette qualité le frappe surtout chez les artistes de pure imagination,