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XL
EUGÈNE DELACROIX.

sur notre âme qu’en ressuscitant, par l’intervention miraculeuse de la mémoire et de l’association des idées, les éléments de sensibilité que la vie antérieure y a accumulés ?

Même en dehors de son art, Delacroix aimait à systématiser, à coordonner les pensées maîtresses que l’observation faisait naître en lui : l’esprit est un, en effet, et, semblable à un instrument d’optique complexe et fidèle, reflète avec des propriétés identiques les différents objets qui lui sont présentés. Les motifs qui l’avaient amené à examiner la peinture isolément, le poussent à l’envisager dans ses rapports avec les autres arts ; il l’analyse comme moyen d’expression du sentiment, indépendamment de toute application pratique ; il y était forcément conduit, et par la pente naturelle de son esprit et par sa culture même qui s’étendait, on le sait, à toutes les manifestations du Beau ; également curieux de littérature, de musique, d’art dramatique, il se révèle bien dans son Journal l’intelligence la plus ouverte, la plus avide de jouissances qui ait jamais paru, car on trouverait difficilement, même dans la période de sa vie la plus absorbée par les grands travaux décoratifs, une semaine entière où ne fût point notée quelque réflexion venue à la suite de lectures, de représentations dramatiques ou d’auditions musicales. La poésie, tout d’abord : il y revient sans cesse, comme à la salutaire auxiliatrice de ses travaux, à la source vivifiante où il va puiser ses inspirations ; les lecteurs du Journal verront, dans l’immense quantité de projets qu’il a notés, l’assiduité de ses fréquentations poétiques ; de ces projets, il en exécuta un grand nombre : il eût fallu la vie de dix peintres pour les exécuter tous. À maintes reprises il