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LI
EUGÈNE DELACROIX.

l’œuvre qui nous occupe, disons-le bien haut pour la plus grande gloire de son auteur, il ne saurait être question de préoccupations semblables. Ceux qui y chercheraient, sur les hommes célèbres de son temps, des révélations intimes dictées à Delacroix par un parti pris de dénigrement, risqueraient fort d’être déçus. Non que l’artiste ait été dépourvu de cette lucidité d’analyse, de cette pénétration critique qui perce à jour les faiblesses communes à tous les hommes éminents ; non qu’il se soit jamais départi de cette indépendance sans laquelle il n’est pas d’esprit supérieur. Nous l’avons déjà dit, et nous ne pouvons assez le répéter, l’intérêt de ces notes journalières est dans leur sincérité ; on y découvre certaines faces de l’esprit du maître, certaines préférences et certaines antipathies qui sans elles seraient demeurées inconnues ; il s’y trouve donc des jugements sévères, mordants quelquefois, mettant à nu les parties faibles d’un talent ou d’un caractère ; mais la raison comme le bon goût s’y manifestent toujours et viennent atténuer ce que la passion exclusive pourrait avoir de trop ardent.

Presque tous les artistes célèbres de l’époque sont jugés dans le Journal de Delacroix. Nommons, pour n’en citer que quelques-uns, Charlet, Géricault, Gros, Girodet, Ingres, Delaroche, Flandrin, Couture, Corot, Rousseau, Chenavard, Meissonier, Gudin, Courbet, Millet, Decamps. Lorsque Delacroix est en présence d’un tempérament de peintre directement hostile au sien, on s’en aperçoit dès l’abord, car il ne cache pas son impression : Delaroche, par exemple. Il ne pouvait supporter ni sa méthode de composition, ni sa couleur, faite, comme disait Th. Gautier, « avec de l’encre et du cirage ». Il se montre à son