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LIII
EUGÈNE DELACROIX.

son opinion sur le réalisme, qu’il appelait : « l’antipode de l’art. » En visitant une des expositions de Courbet, il note la vulgarité de ses sujets, mais s’arrête étonné devant la vigueur de sa facture. Il rencontre Couture, constate sans en être surpris « qu’il ne voit et n’analyse comme tous les autres que des qualités d’exécution ». Dans ce domaine restreint, Delacroix reconnaît son talent et fait du même coup le procès de tous les « gens de métier ». Avec Millet, il s’entretient de Michel-Ange et de la Bible, plaisir qu’il goûte assez rarement avec les peintres, si l’on en croit son Journal ; il remarque ses œuvres à une époque où elles étaient méconnues de tous, non sans lui reprocher la prétention affectée, la tournure ambitieuse de ses paysans. Quant à Corot, il salue en lui un véritable artiste. Les observations présentées plus haut sur le paysage, sur la manière dont il le comprenait, sur l’idéalisation qu’il y jugeait indispensable, suffisent pour expliquer son admiration à l’endroit de ce maître unique.

Pour en revenir au romantisme, il est au moins piquant de connaître son jugement sur les chefs incontestés d’un mouvement artistique auquel l’opinion publique le rattachait obstinément, car ce jugement est singulièrement significatif, s’il n’est pas équitable. Mais en fait, peut-on parler ici de justice ou d’injustice, quand il ne doit s’agir que de la manifestation d’une personnalité très tranchée et d’opinions cadrant avec cette personnalité ? Il n’aimait pas le génie de Victor Hugo, qu’il trouvait incorrect. L’extraordinaire puissance de verbe du poète ne lui faisait pas pardonner son exubérance ; entre eux d’ailleurs il y eut complète réciprocité d’antipathie :