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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Comment ! l’acteur qui a toute sa vie, ou du moins pendant toute sa jeunesse, dans l’âge de la force et du sentiment, à ce qu’on dit, été mauvais ou médiocre, devient passable ou excellent, quand il n’a plus de dents ni de souffle, et il n’en serait pas de même dans les autres arts ! Est-ce que je n’écris pas mieux et avec plus de facilité qu’autrefois ? A peine je prends la plume, non seulement les idées se pressent et sont dans mon cerveau comme autrefois, mais ce que je trouvais autrefois une très grande difficulté, l’enchaînement, la mesure s’offrent à moi naturellement et dans le même temps où je conçois ce que j’ai à dire.

Et, dans la peinture, n’en est-il pas de même ? D’où vient qu’à présent, je ne m’ennuie pas un seul instant, quand j’ai le pinceau à la main, et que j’éprouve que, si mes forces pouvaient y suffire, je ne cesserais de peindre que pour manger et dormir ? Je me rappelle qu’autrefois, dans cet âge prétendu de la verve et de la force dé l’imagination, l’expérience manquant à toutes ces belles qualités, j’étais arrêté à chaque pas et dégoûté souvent. C’est une triste dérision de la nature que cette situation quelle nous fait avec l’âge. La maturité est complète et l’imagination aussi fraîche, aussi active que jamais, surtout dans le silence des passions folles et impétueuses que l’âge emporte avec lui ; mais les forces lui manquent, les sens sont usés et demandent du repos plus que du mouvement. Et pourtant, avec