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Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/224

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

pu résister au désir d’aller jusqu’au bas, à la fontaine. Que les objets changent peu, malgré l’instabilité des choses humaines, si on les compare à nous-mêmes et à nos sentiments ! Cependant, en revoyant ces beaux arbres, je me suis reporté avec vivacité à quelques années en arrière… La petite fontaine du bon père Barbier ne coulait plus : un des côtés était cultivé, et j’ai vu dans l’intérieur les tuyaux en plomb qui épanchaient, sans se montrer, l’eau de la source limpide. Cet aspect prosaïque n’a pas suffi pour me désenchanter : je suis remonté rapidement, mais avec regret, en abandonnant cet endroit agréable.

Causé à dîner des tables tournantes : Mme Villot a vu et fait des expériences ; elle en vient à croire presque au surnaturel. J’ai effectivement, après dîner, éprouvé par mes yeux, sinon autrement, cette fameuse découverte. Geneviève, la femme de chambre, a fait tourner un chapeau… ; un guéridon a sensiblement tourné et levé le pied d’un côté ; mais après nous être mis une demi-heure autour de la grande table à manger, il a été impossible de l’arracher à son immobilité de nature. Ces dames ont prétendu que j’étais un sujet peu propre : de même, d’une ou deux personnes présentes…

L’homme fait des progrès en tous sens : il commande à la matière, c’est incontestable, mais il n’apprend pas à se commander à lui-même. Faites des chemins de fer et des télégraphes, traversez en un clin d’œil les terres et les mers, mais dirigez les pas-