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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

ces manières étaient infiniment plus répandues, et ce qui reste encore de politesse dans notre nation, malgré la grossièreté qui envahit tout, prouve ce que la société a dû être. Pour ceux qui éprouvent cette sorte de charme, il n’y a pas de progrès matériels qui puissent le compenser. Il n’est pas étonnant qu’on trouve insipide le monde à présent. La révolution qui s’accomplit dans les masses le remplit continuellement de parvenus, ou plutôt ce n’est plus le monde comme il était : ce qu’on appelle ainsi est effectivement tout ce qu’il y a de plus ennuyeux. Quel agrément pouvez-vous trouver chez des marchands enrichis, qui sont à peu près tout ce qui compose aujourd’hui les classes supérieures ? Les idées rétrécies du comptoir en lutte avec l’ambition de paraître distingué est le contraste le plus sot… Que dirai-je à M. Minoret, par exemple, qui n’a ni instruction, ni envie de plaire, ni envie de parler ?

Il faudrait cultiver les gens aimables, pour le peu qu’il s’en trouve ; avec les gens aimables, la frivolité est charmante, mais la frivolité dans le salon des gens qui ont rangé les comptoirs et mis leurs livres de comptes dans leur armoire pour donner un bal, et qui ont fait endimancher leurs commis pour offrir la main aux dames ! Je préfère une réunion de paysans[1] !

  1. Delacroix, comme presque tous les esprits supérieurs, estimait plus la simple et franche ignorance des âmes naïves que l’insuffisante et prétentieuse instruction des gens du monde. « Un jour, écrit Baudelaire, un dimanche, j’ai aperçu Delacroix au Louvre, en compagnie de sa vieille servante, celle qui l’a si dévotement soigné et servi pendant