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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

vous le faites sans occasionner un désaccord complet, vous aurez accompli le plus grand des tours de force, accordé ce qui semble inconciliable ; en quelque sorte, c’est l’introduction de la réalité au milieu d’un songe ; vous aurez réuni deux arts différents, car l’art du peintre vraiment idéaliste est aussi différent de celui du froid copiste que la déclamation de Phèdre est éloignée de la lettre d’une grisette à son amant. La plupart de ces peintres, qui sont si scrupuleux dans l’emploi du modèle, n’exercent la plupart du temps leur talent de le copier avec fidélité que sur des compositions mal digérées et sans intérêt. Ils croient avoir tout fait, quand ils ont reproduit des têtes, des mains, des accessoires imités servilement et sans rapport mutuel.

— Fait une promenade avec Jenny vers le chêne Prieur. Sortis par la lisière de la forêt et revenus par la grande allée. Ces bruyères, ces fougères, cette herbe fine et verte rappelaient à la pauvre femme son pays et sa jeunesse.

— Sur l’imitation de la nature, ce grand point de départ de toutes les écoles et sur lequel elles se divisent profondément, aussitôt qu’elles l’interprètent, toute la question semble réduite à ceci : l’imitation est-elle faite en vue de plaire à l’imagination ou de satisfaire simplement une sorte de conscience d’une singulière espèce, qui consiste, pour l’artiste, à être content de lui quand il a copié, aussi exactement que possible, le modèle qu’il a sous les yeux ?