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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Que c’est beau ! m’a-t-il dit ; que vous êtes heureux !… Et il a grandement raison.

Je suis revenu à pied et suis entré à Saint-Roch à la messe de minuit. Je ne sais si cette foule entassée là, ces lumières, enfin cette espèce de solennité ne mont pas fait paraître plus froides et plus insipides toutes les peintures qui sont là sur les murs… Que le talent est rare ! Que de labeurs dépensés à barbouiller de la toile, et quelles plus belles occasions que ces sujets religieux ! Je ne demandais à tous ces tableaux si patiemment ou même si habilement fabriqués par toutes sortes de mains, et de toutes sortes d’écoles, qu’une touche, qu’une étincelle de sentiment et d’émotion profonde, qu’il me semble que j’y aurais mise presque malgré moi. Dans ce moment, qui avait quelque solennité, ils me semblaient plus mauvais qu’à l’ordinaire ; mais, en revanche, combien une belle chose m’eût ravi ! C’est ce que j’ai éprouvé, toutes les fois qu’une belle peinture était devant mes yeux à l’église, pendant qu’on exécutait de la musique religieuse, qui, elle, n’a pas besoin d’être aussi choisie pour produire de l’effet, la musique s’adressant sans doute à une partie de l’imagination, différente et plus facile à captiver. Je me rappelle avoir vu ainsi, et avec le plus grand plaisir, une copie du Christ de Prud’hon, à Saint-Philippe du Roule ; je crois que c’était pendant l’enterrement de M. de Beauharnais… Jamais, à coup sûr, cette composition, qui est critiquable, ne m’avait paru