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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

porter au système de Chenavard sur l’enfance et la vieillesse du monde).

On plante une branche de peuplier, qui devient bientôt un peuplier. Où ai-je vu qu’il y a des animaux, — et cela est probable, — qui, coupés en morceaux, font autant d’être distincts, ayant autant d’existences propres qu’il y a de fragments ? J’ai remarqué souvent, en dessinant des arbres, que telle branche séparée est elle-même un petit arbre : il suffirait, pour le voir ainsi, que les feuilles fussent proportionnées. La nature est singulièrement conséquente avec elle-même : j’ai dessiné à Trouville des fragments de rochers au bord de la mer, dont tous les accidents étaient proportionnés, de manière à donner sur le papier l’idée d’une falaise immense ; il ne manquait qu’un objet propre à établir l’échelle de grandeur. Dans cet instant, j’écris à côté d’une grande fourmilière, formée au pied d’un arbre, moitié par de petits accidents de terrain, moitié par Les travaux patients des fourmis ; ce sont des talus, des parties qui surplombent et forment de petits défilés, dans lesquels passent et repassent les habitants d’un air affairé et comme le petit peuple d’un petit pays, que l’imagination peut grandir dans un instant. Ce qui n’est qu’une taupinière, je le vois à volonté comme une vaste étendue entrecoupée de rocs escarpés, de pentes rapides, grâce à la taille diminuée de ses habitants. Un fragment de charbon de terre ou de silex, ou d’une pierre quelconque, pourra présenter dans une