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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

qu’elles forment la trame, le tissu même de l’ouvrage. J’ai dit ailleurs que les hommes sublimes remplis d’excentricité étaient comme ces mauvais sujets dont les femmes raffolent : ce sont autant d’enfants prodigues, auxquels on sait gré de certains retours généreux au milieu de leurs déportements. Que dire de l’Arioste, qui est toute perfection, qui réunit tous les tons, toutes les images, le gai, le tragique, le convenable, le tendre ? Mais je m’arrête.

8 septembre. — Un ouvrage parfait, me disait Mérimée, ne devrait pas comporter de notes. Je suis tenté de dire qu’un écrit vraiment écrit et surtout déduit et pensé ne comporte pas même d’alinéas. Si les pensées sont conséquentes, si le style s’enchaîne, il ne comporte point de repos jusqu’à ce que la pensée, qui fait le fond du sujet, soit complètement développée. Montaigne est un illustre exemple de cette nécessité du génie dans ce cas particulier.

Commencé très bien cette journée, c’est-à-dire avec le désir de faire quelque chose ; j’ai écrit sur ce livre jusqu’à onze heures. J’étais fatigué de mes courses de la veille et de mes conversations avec Chenavard. J’ai un grand besoin de repos, et le travail d’esprit m’a reposé effectivement.

Après le déjeuner, je me suis mis avec une ardeur extrême à dessiner les chevaux qui passaient attelés à quatre à des charrettes et dont l’attelage est très pittoresque. Ensuite, j’ai dessiné, en grand, tout l’avant