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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

vous envoyez philosophiquement des balles de plomb et de fer, sans aucune défense contre ces coups qui vous sont renvoyés, et vous persuadez à votre troupeau à plumets et à épaulettes que c’est là se couvrir de gloire ! Cette malheureuse profession est faussée dans son principal objet. L’héroïsme consiste à approcher l’ennemi, de manière que le courage personnel serve à quelque chose. Recevoir passivement les coups de l’artillerie est le fait du lâche aussi bien que du brave ; celui-ci s’indigne d’être traité comme un mur ou un bastion de terre ; il n’a pas plus de mérite que la foule des peureux qui, près de lui, attendent la mort ou la fin d’une action qui doit les délivrer de la crainte. Cette masse intimidée qui envoie et reçoit les coups de fusil devient ainsi, par un renversement de rôles, la seule force des armées modernes ; c’est par sa masse qu’elle opère. Le courage des hommes d’action devient presque inutile. Il se glace au contraire dans cette humiliante situation ; que faire de cette colère qui s’empare naturellement d’un cœur impétueux, lorsqu’il voit tomber près de lui son compagnon, lorsque le son des trompettes et le bruit de l’artillerie l’excitent à la vengeance ?

Je regrette de ne pouvoir me faire une idée nette de ce qu’on appelle une charge de cavalerie. J’ai toujours entendu citer cette sorte de mouvement comme une espèce de plaisanterie, dans laquelle les rôles sont fixés pour ainsi dire à l’avance, c’est-à-