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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

que chose qui n’est pas naturel, qui sent l’effort et qui accuse un esprit dans lequel se combattent le faux et le vrai. Je soutiens qu’un vrai grand homme ne contient pas une parcelle de faux : le faux, le mauvais goût, l’absence de vraie logique, ce sont mêmes choses.

Chenavard m’a montré à l’appui de ses théories, et pour justifier les intentions de sa composition du Déluge[1], un immense carton de toutes les gravures qu’il a pu se procurer d’après Michel-Ange. Il m’a confirmé dans mon sentiment au lieu de m’en détourner. Je lui ai dit que le Jugement dernier, par exemple, ne me disait rien du tout. Je n’y vois que des détails frappants, frappants comme un coup de poing qu’on reçoit ; mais l’intérêt, l’unité, l’enchaînement de tout cela est absent. Son Christ en croix ne me donne aucune des idées qu’un pareil sujet doit exciter ; ses sujets de la Bible de même.

Titien, voilà un homme qui est fait pour être goûté par les gens qui vieillissent ; j’avoue que je ne l’appréciais nullement dans le temps où j’admirais beaucoup Michel-Ange et lord Byron[2]. Ce n’est, à ce que je crois, ni par la profondeur de ses expressions, ni par une grande intelligence du sujet qu’il vous touche, mais par sa simplicité et par l’absence d’af-

  1. Le Déluge était le premier des quarante tableaux représentant l’Histoire de l’humanité, où Chenavard voulait développer la succession chronologique des principales phases de la civilisation. Ces quarante peintures murales étaient destinées au Panthéon, dont Chenavard avait conçu une décoration grandiose. Ce projet ne fut pas réalisé.
  2. Se reporter aux premières années du Journal.