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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

phaël tombe dans ce décousu, par suite d’une autre pratique, celle de dessiner consciencieusement chaque figure nue, avant de la draper.

Bien qu’il soit nécessaire de se rendre compte de toutes les parties de la figure, pour ne pas s’écarter des proportions que les vêtements peuvent dissimuler, je ne saurais être partisan de cette méthode exclusive, et à laquelle il semble, si on s’en rapporte à toutes les études qui nous sont restées de lui, qu’il se soit toujours conformé scrupuleusement. Je suis bien sûr que si Rembrandt se fût astreint à cet usage d’atelier, il n’aurait ni cette force de pantomime, ni cette force dans l’effet qui rend ses scènes la véritable expression de la nature. Peut-être découvrira-t-on que Rembrandt est un beaucoup plus grand peintre que Raphaël[1].

J’écris ce blasphème propre à faire dresser les cheveux de tous les hommes d’école, sans prendre décidément parti ; seulement je trouve en moi, à mesure que j’avance dans la vie, que la vérité est ce qu’il y a de plus beau et de plus rare… Rembrandt n’a pas, si vous voulez, absolument l’élévation de Raphaël…

Peut-être cette élévation que Raphaël a dans les

  1. A propos de ce parallèle sur lequel nous nous sommes expliqué dans la préface, il nous paraît intéressant de renvoyer à l’étude sur Raphaël, qui fut un des premiers travaux littéraires d’Eugène Delacroix et qui parut à la Revue de Paris en 1830. On y verra une nouvelle preuve de ce que nous disions dans cette préface, à savoir que « les points de vue se modifient avec l’âge, et que les qualités qui semblent prépondérantes au début d’une carrière prennent souvent une importance moindre à l’époque de la maturité ».