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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/104

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

me trompe de route et je conçois de l’inquiétude, en sentant ma fatigue et voyant reculer mon déjeuner. J’arrive enfin tout poudreux, tout hérissé. Je me mets à table. Voilà toutes sortes d'événements qui ne peuvent pas m’arriver à Paris et qui font que je ne peux pas y déjeuner avec appétit.

Je dors ensuite presque toute la journée ; un autre se serait fait un devoir d’aller voir des cascades.

A six heures chez Mme Kalergi, qui m’avait prié ; j’y trouve un prince Wiasiemski et sa femme, le premier Kalmouck par la face, la seconde charmante et gracieuse Russe qui m’a semblé mieux le lendemain en toilette du matin. De plus, une dame russe aussi ou berlinoise, sentimentale personne, avec qui j’ai fait le lendemain le voyage d’Eberstein avec Mme Kaiergi. Cette dernière me parle beaucoup de Wagner[1] ; elle en raffole comme une sotte, et comme elle raffolait de la République. Ce Wagner veut innover ; il croit être dans la vérité ; il supprime beaucoup des conventions de la musique, croyant que les conventions ne sont pas fondées sur des lois nécessaires. Il est démocrate ; il écrit aussi des livres sur le bonheur de l’humanité[2], lesquels sont absurdes, suivant Mme Kalergi elle-même.

  1. Il ne faut pas oublier qu'à cette époque le nom de Richard Wagner était complètement inconnu en France. Nous sommes en 1855, c’est-à-dire huit années avant la légendaire tentative de Tannhauser, au grand Opéra de Paris. Le nom alors obscur du poète-musicien n’avait pu être révélé à Eugène Delacroix que par une étrangère russe ou berlinoise.
  2. Delacroix fait allusion ici aux tentatives politiques et sociales de