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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/209

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

avec admiration quantité de ses ouvrages, s’arrête en disant : « Mais je me retiens et passe doucement sur ses louanges, parce que je suis son compère et parce qu’il faudrait être absolument aveugle pour ne pas voir le soleil. »

Il dit après et je pourrais le mettre avant : « Notre Titien est donc divin et sans égal dans la peinture, etc.» Il ajoute : « Concluons que, quoique jusqu’ici il y ait en plusieurs excellents peintres, ces trois méritent et tiennent le premier rang : Michel-Ange, Raphaël et Titien. »

… Je sais bien que cette qualité de coloriste est plus fâcheuse que recommandable auprès des écoles modernes qui prennent la recherche seule du dessin pour une qualité et qui lui sacrifient tout le reste. Il semble que le coloriste n’est préoccupé que des parties basses[1] et en quelque sorte terrestres de la peinture, qu’un beau dessin est bien plus beau quand il est ac-

  1. Sur cette éternelle question du dessin et de la couleur, à propos de cette division entre dessinateurs et coloristes qui durera sans doute tant qu’il y aura des dessinateurs et des peintres, Baudelaire écrivait dans son Salon de 1846, se faisant l’interprète de la pensée du maître qu’il avait défendu toute sa vie : « On peut être à la fois coloriste et dessinateur, mais dans un certain sens. De même qu’un dessinateur peut être coloriste par les grandes masses, de même un coloriste peut être dessinateur, par une logique complète de l’ensemble des lignes ; mais l’une de ces qualités absorbe toujours le détail de l’autre. Les coloristes dessinent comme la nature : leurs figures sont naturellement délimitées par la lutte harmonieuse des masses colorées. » Dans tous les passages de ses œuvres critiques où il traite ces intéressantes questions de technique picturale, on retrouve, commentées et renouvelées par son talent de vision originale et personnelle, les idées du maître qu’il chérissait, si bien que l’Art romantique et les Curiosités esthétiques donnent comme un avant-goût des plus curieux passages de cette année 1857.