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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/310

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Du mot Distraction. — Il y a longtemps que j’avais fait des réflexions analogues sur le mot Distraclion, pour exprimer des plaisirs, des passe-temps. Il vient de distrahere, détacher de, arracher de. Le vulgaire, quand il dit qu’il se donne des distractions, ne se dit pas que cette expression est toute négative ; elle exprime la première opération à faire pour aller à une jouissance quelconque : c’est de se tirer d’abord de l'état d’ennui ou de souffrance dans lequel on se trouve. Ainsi, je vais me distraire signifie : Je vais ôter de ma pensée le souvenir du mal présent ; je vais oublier, si je puis, mon chagrin, quitte à trouver ensuite du plaisir par-dessus le marché. Tous les hommes ont besoin d'être distraits et veulent l'être continuellement. Il n’y a peut-être que le musulman stupide (il nous paraît tel à nous autres) qui semble se suffire à lui-même, accroupi pendant des journées sur un tapis, en tête-à-tête avec sa pipe ; encore est-ce là une sorte de distraction. C’est une occupation fainéante qui remplit les heures d’une façon machinale.

Quant à nos distractions, ce sont celles que donnent des lectures, des spectacles, les cartes, la promenade : il y en a qui s’amusent, d’autres qui restent des heures interminables avec les occupations que donnent les travaux de l’esprit ; mais, encore un coup, ce sont des personnes qui charment les heures de la prison par les imaginations d’un état qui les met hors de l'état présent, c’est-à-dire qui les arrache à la con-