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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/327

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

poisson ; et il est probable que les seigneurs de la cour d’Élisabeth — ils n’avaient pas beaucoup meilleur goût — leur préféraient les jeux de mots, les traits d’esprit recherchés. Le lyrisme, le réalisme, toutes ces belles inventions modernes, on a cru les trouver dans Shakespeare. De ce qu’il fait parler des valets comme leurs maîtres, de ce qu’il fait interroger un savetier par César, le savetier en tablier de cuir et répondant en calembours du coin de la rue, on a conclu que la vérité manquait à nos pères qui ne connaissaient pas cette veine nouvelle ; quand on a vu également un amant en tête-à-tête avec sa maîtresse débiter deux pages de dithyrambe à la nature et à la lune, ou un homme dans le paroxysme de la fureur s’arrêter pour faire des réflexions philosophiques interminables, on a vu un élément d’intérêt dans ce qui n’est que celui d’un extrême ennui.

Combien le pour et le contre se trouvent dans la même cervelle ! On est étonné de la diversité des opinions entre hommes différents ; mais un homme d’un esprit sain conçoit toutes les possibilités, sait se mettre ou se met à son insu à tous les points de vue. Cela explique tous les revirements d’opinion chez le même homme, et ils ne doivent surprendre que ceux qui ne sont pas capables de se faire à eux-mêmes des opinions des choses. En politique, où ce changement est plus fréquent et plus brusque encore, il tient à des causes entièrement différentes et que je n’ai pas besoin d’indiquer : cela n’est pas mon sujet.