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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/370

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

sure du premier coup, et dont la sublime monotonie est la principale qualité. Michel-Ange n’a point varié la physionomie de ce terrible talent qui a renouvelé lui-même toutes les écoles modernes et leur a imprimé un élan irrésistible.

Rubens a été Rubens tout de suite. Il est remarquable qu’il n’a pas même varié son exécution, qu’il a très peu modifiée, même après l’avoir reçue de ses maîtres. S’il copie Léonard de Vinci, Michel-Ange, le Titien, — et il a copié sans cesse, — il semble qu’il s’y soit montré plus Rubens que dans ses ouvrages originaux.

Imitation. On commence toujours par imiter.

Il est bien convenu que ce qu’on appelle création dans les grands artistes n’est qu’une manière particulière à chacun de voir, de coordonner et de rendre la nature. Mais non seulement ces grands hommes n’ont rien créé dans le sens propre du mot, qui veut dire : de rien faire quelque chose ; mais encore ils ont dû, pour former leur talent ou pour le tenir en haleine, imiter leurs devanciers et les imiter presque sans cesse, volontairement ou à leur insu.

Raphaël, le plus grand des peintres, a été le plus appliqué à imiter[1] : imitation de son maître, laquelle

  1. Dans son étude sur Raphaël, Delacroix avait déjà énoncé et développé cette idée qui lui semblait féconde en points de vue intéressants : « Beaucoup de critiques, dit-il, seront peut-être tentés de lui reprocher (à Raphaël) ce qui me semble, à moi, la marque la plus sûre du plus incomparable talent, je veux parler de l’adresse avec laquelle il sut imiter, et du parti prodigieux qu’il tira, non pas seulement des anciens ouvrages, mais de ceux de ses émules et de ses contemporains. »