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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/375

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

lesquels la main de l’homme se fait sentir, par conséquent avec la forme convenue[1] et adoptée dans le temps où vit l’artiste.

Le langage de son temps donne une couleur particulière à l’ouvrage du poète ; cela est si vrai qu’il est impossible de donner, dans une traduction faite beaucoup plus tard, une idée exacte d’un poème. Celui de Dante, malgré toutes les tentatives plus ou moins heureuses, ne sera jamais rendu dans sa beauté naïve par la langue de Racine et de Voltaire. Homère de même. Virgile, venu dans une époque plus raffinée, qui ressemblait à la nôtre, Horace même, malgré la concision de son langage, seront rendus plus heureusement en français ; l’abbé Delille a traduit Virgile ; Boileau eût traduit Horace ; ce serait donc moins la difficulté résultant de la diversité des langues que de l’esprit différent des époques qui serait un obstacle à une vraie traduction. L’italien du Dante n’est pas l’italien de nos jours ; des idées antiques vont à une langue antique. Nous appelons naïfs ces auteurs anciens : c’est leur époque qui l'était, par rapport à la nôtre seulement.

  1. Cette idée paraît bien l’avoir préoccupé à cette époque, car à la date du 1er septembre, sur un album qu’il avait emporté à Strasbourg, Delacroix écrivait : « Le réaliste le plus obstiné est bien forcé d’employer, pour rendre la nature, certaines conventions de composition ou d’exécution. S’il est question de la composition, il ne peut prendre un morceau isolé ou même une collection de morceaux pour en faire un tableau… Le réaliste obstiné corrigera dans un tableau cette inflexible perspective qui fausse la vue des objets à force de justesse. » (Eugène Delacroix, sa vie et ses œuvres, p. 406 et 407.)