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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/395

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

de l’histoire. Le premier des principes, c’est celui de la nécessité des sacrifices[1].

Des portraits séparés, quelle que soit leur perfection, ne peuvent former un tableau. Le sentiment particulier peut seul donner l’unité, et elle ne s’obtient qu’en ne montrant seulement que ce qui mérite d'être vu.

L’art, la poésie, vivent de fictions. Proposez au réaliste de profession de peindre les objets surnaturels : un dieu, une nymphe, un monstre, une furie a toutes ces imaginations qui transportent l’esprit !

Les Flamands, si admirables dans la peinture des scènes familières de la vie, et qui, chose singulière, y ont porté l’espèce d’idéal que ce genre comporte comme tous les genres, ont échoué généralement (il faut en excepter Rubens) dans les sujets mythologiques ou même simplement historiques ou héroïques, dans des sujets de la fable ou tirés des poètes. Ils affublent de draperies ou d’accessoires mythologiques des figures peintes d’après nature, c’est-à-dire d’après de simples modèles flamands, avec tout le scrupule qu’ils portent ailleurs dans l’imitation

  1. Cette nécessité des sacrifices sur laquelle il s’est longuement étendu en ce qui concerne la peinture, il l’appliquait aux compositions littéraires : « Dans certains romans comme ceux de Cooper, par exemple, il faut lire un volume de conversation et de description pour trouver un moment intéressant : ce défaut dépare singulièrement les ouvrages de Walter Scott, et rend bien difficile de les lire : aussi l’esprit se promène languissant au milieu de cette monotonie et de ce vide où l’auteur semble se complaire à se parler à lui-même. » (Eugène Delacroix, sa vie et ses œuvres, p. 408.)