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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/55

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

C’est ainsi qu’il avait fait l’année dernière l’analyse des tableaux si intéressants de Janmot[1] ; il ne m’avait donné aucune idée de cette personnalité vraiment intéressante qui sera noyée dans le vulgaire, dans le chic, qui domine tout ici. Quel intérêt il y aurait pour un critique un peu fin à comparer ces tableaux, tout imparfaits qu’ils sont sous le rapport de l’exécution, avec ces tableaux aussi naïfs, mais d’une inspiration si différente ! Ce Janmot a vu Raphaël, Pérugin, etc., comme les Anglais ont vu Van Eyck, Wilkie, Hogarth et autres ; mais ils sont tout aussi originaux après cette étude. Il y a chez Janmot un parfum dantesque remarquable. Je pense, en le voyant, à ces anges du purgatoire du fameux Florentin ; j’aime ces robes vertes comme l’herbe des prés au mois de mai, ces têtes inspirées ou rêvées qui sont comme des réminiscences d’un autre monde. On ne rendra pas à ce

    téressant de rapporter ici la lettre de remerciement écrite par Delacroix au critique, après la lecture de ses réflexions sur l’École française et sur notre artiste en particulier : « Mon cher Gautier, lui écrit-il le 22 septembre 1855, je lis en revenant à Paris votre article mille fois bon et bienveillant sur mon exposition. Je vous en remercie de cœur au delà de ce que je pense vous exprimer. Oui, vous devez éprouver de la satisfaction, en voyant que toutes ces folies, dont autrefois vous preniez le parti à peu près seul, paraissent aujourd’hui toutes naturelles… J’ai rencontré hier soir une femme que je n’avais pas vue depuis dix ans, et qui m’a assuré qu’en entendant lire une partie de votre article, elle avait cru que j'étais mort, pensant qu’on ne louait ainsi que les gens morts et enterrés. » (Corresp., t. II, p. 131.)

  1. Louis Janmot, dit Jan-Louis (1814-1892), peintre, élève de Victor Orsel et d’Ingres, s’adonna presque exclusivement à la peinture religieuse. La plupart de ses œuvres portent l’empreinte d’un mysticisme exalté, mais témoignent aussi trop souvent de l’insuffisance de l’artiste dans les moyens d’exécution.