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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/62

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

réfléchir, ayant fermé la porte aux émotions entre celles de ma matinée et celles qui m’attendaient le lendemain matin. Il faisait un froid incroyable : après deux tours sur le boulevard, j’ai été retrouver mon lit.

Champrosay, 21 juin. — Levé avant six heures. Comme je n’ai emmené personne et que je fais tout moi-même, j’ai besoin d’une activité qui contribue beaucoup à me fatiguer.

J’arrive à Passy un peu avant neuf heures, je vois et j’embrasse la pauvre Caroline. Triste cérémonie, qui avait là quelque chose de plus touchant que toutes celles de ce genre qu’on peut faire à Paris. L’air de ce lieu est mortel pour toute émotion vraie ; l’appareil d’un convoi, les prêtres qui font la cérémonie, tout cela forme un spectacle qui fait de cet acte lugubre un acte comme un autre. À Passy, à une demi-heure de ce Paris empesté, ce convoi, ce service, les figures de tous ceux qui prennent part à tout cela, tout est changé, tout est décent, sérieux, et jusqu’à l’attitude des gens qui se mettent aux fenêtres.

J’ai été dans la sacristie avec cet excellent ami, cet excellent fils, pour signer l’acte mortuaire ; quand il eut mis son nom sur le registre, il ajouta au bas son fils ; je signai à mon tour, et il me sembla que j’avais presque le droit de faire de même ; ce brave cœur avait eu la même pensée, et, en retournant à nos places, il me dit avec une expression déchirante :