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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/78

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

chambre, sur le quai : aux tentures orange, avec les peintures de Court.

Je vais ensuite à l’Industrie ; je remarque cette fontaine jaillissante de fleurs gigantesques imitées.

La vue de toutes ces machines m’attriste profondément. Je n’aime pas cette matière qui a l’air de faire, toute seule et abandonnée à elle-même, des choses dignes d’admiration.

En sortant, je vais voir l’exposition de Courbet, qu’il a réduite à dix sous. J’y reste seul pendant près d’une heure et j’y découvre un chef-d'œuvre[1] dans son tableau refusé ; je ne pouvais m’arracher de cette vue. Il y a des progrès énormes, et cependant cela m’a fait admirer son Entendement. Dans celui-ci, les personnages sont les uns sur les autres, la composition n’est pas bien entendue ; il y a de l’air et des parties d’une exécution considérable : les hanches, la cuisse du modèle nu et sa gorge ; la femme du devant qui a un châle ; la seule faute est que le tableau qu’il peint fait amphibologie : il a l’air d’un vrai ciel au milieu du tableau. On a refusé là un des ouvrages les plus singuliers de ce temps ; mais ce n’est pas un gaillard à se décourager pour si peu.

J’ai dîné à l’Industrie entre Mercey et Mérimée ; le premier pense comme moi de Courbet ; le second n’aime pas Michel-Ange !

  1. Voir ce que nous avons dit dans notre Étude, p. li-lii, sur l’impartialité de Delacroix touchant les contemporains en général et Courbet en particulier.