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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/98

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

« J’ai été fort longtemps sans vous écrire ; c’est que j’ai fait le voyage le plus contrarié, je n’oserais pas dire le plus malheureux, puisque j’y ai eu quelques bons moments en retrouvant des personnes que j’aime ; mais tout a été en dépit de mes prévisions et de mes petites convenances.

J’ai traversé Paris en revenant du Périgord, pour aller à Strasbourg, d’où je vous écris, souffrant, mal disposé pour achever ce qui me reste à faire, brisé par tous ces soubresauts et ces changements de régime et de condition. J’ai trouvé dans le pays de mon beau-frère des personnes que je n’avais pas vues depuis mon extrême jeunesse. Tout cela est attendrissant et attristant ; mais encore il y a des émotions délicieuses qui s’y mêlent. Les communications dans tous les pays qui ne sont pas traversés par les chemins de fer sont intolérables : on est jeté dans d’affreuses carrioles, entassé et confondu avec toute la famille possible ; c’est à tous ces inconvénients que je n’ai pas pu résister, et quoiqu’à la veille précisément d’aller faire à Baden un tour de quelques jours, je n’entrevois qu’avec ennui toute espèce de déplacement.

J’ai plus d’une fois envié votre calme philosophique, dans votre jardin, que vous n’êtes pas obligée d’aller chercher à travers des ennuis de toute sorte. Restez-y donc et ne bougez pas ; je ne serai ici que jusqu’à la fin du mois ; je pars, n’étant rien moins que reposé par ma villégiature. Peut-être, comme on a retardé