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Comme tout le monde

perspicace s’enfonçait dans les yeux d’Isabelle, jusqu’au cœur :

— Vous êtes heureuse, petite femme ?

Quelle parole ! Isabelle éclate en sanglots. Elle a caché sa figure dans ses mains gantées, ses épaules remuent convulsivement.

— Allons !… dit la marquise qui s’est levée, venez ici !

Elle a forcé la petite Chardier à changer de place, l’a fait asseoir à côté d’elle sur le divan. Maintenant, elle lui tient les poignets nerveusement, la dévisage, et l’expression de sa face est à la fois sombre et pleine de pitié.

— Pas heureuse… murmure-t-elle les dents serrées, l’air ivre, pas heureuse… Toutes, alors ?… Dans tous les mondes ?…

Isabelle, à travers ses larmes, ose la fixer. Jamais une femme n’eut pour elle ces yeux amicaux et catégoriques, ces yeux qui forcent aux confidences. Certes, cette dame n’est pas comme celles qu’on voit dans les salons !

— Racontez ce qui vous fait mal ! dit madame de Taranne. Je vous étonne ?… Mais enfin, que fairre ?… Toutes les femmes mariées sont malheureuses. Nous sommes toutes comme des pauvres sœurs de lait. Dites ?… Le mariage est une mamelle bien amère, n’est-ce pas ?