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Comme tout le monde

Les heures s’en vont. Impressionnée d’être seule dans l’immobilité nocturne, Isabelle est descendue à la cuisine. La grosse Modeste a peur, elle aussi. Un vague effroi, composé de silence et de nuit, rapproche les deux femmes. Isabelle s’est assise sur le coin de la table de bois blanc. La grosse Modeste ravaude quelque chose, installée sur sa chaise de paille. La lampe à pétrole, posée sur la table, éclaire mal, laisse de l’ombre dans tous les coins. Les étains et les cuivres, par-ci, par-là, se manifestent par de petites lueurs sourdes. Le fourneau s’éteint doucement.

— Le marquis de Taranne ?

La ribaude a levé sa tête casquée d’or foncé. Son regard scrute celui d’Isabelle. Puis, comme si, tout à coup, elle consentait à donner sa confiance à cette petite patronne, si gentille et si douce, et qui est du même pays qu’elle :

— Madame me jure qu’elle ne répétera jamais ce que je vais lui dire ?

— Je jure !… dit Isabelle, dont les lèvres, subitement, pâlissent.

La nuit de juin semble entrer, toute noire, jusque dans cette cuisine fumeuse. Pas un bruit dans le jardin, pas un souffle dans la rue. Le silence vous bourdonne aux oreilles dès qu’on se tait. Les deux femmes échangent un regard intense, presque complice.