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Page:Delarue-Madrus - Comme tout le monde.djvu/206

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Comme tout le monde

héroïsme et son péché, sa joie et sa douleur, ce marquis n’était et n’avait jamais été, depuis qu’elle le connaissait, qu’un noceur attardé, qu’un piètre vieux monsieur, coureur de chair fraîche, et qui l’avait voulue un moment, elle, Isabelle, parce que ses joues étaient roses, ses yeux candides et son âme neuve. Elle savait pourquoi Léon était devenu, du jour au lendemain, l’avoué de la famille de Taranne, elle savait que le marquis n’avait quitté Lautrement, jadis, que parce que madame Lautrement n’était plus sa maîtresse ; elle savait qu’au petit pavillon, ce pavillon où elle s’était crue, pauvre Isabelle, attendue avec tant d’amour, il avait reçu clandestinement jusqu’à des petites servantes de ferme ; elle savait que la marquise s’était suicidée parce qu’elle aimait toujours ce mari qui lui faisait horreur ; elle savait que les domestiques, tour à tour payés et menacés, avaient toujours gardé le silence… Elle savait tout.

Isabelle, crispée à sa place dans le lit chaud, se sentait gorgée d’humiliation, de chagrin, d’épouvante. Pour se raccrocher à quelque chose, dans ce naufrage total, elle ressassait éperdument :

— Personne au monde n’a jamais soupçonné ce qui s’est passé entre lui et moi… personne… personne… puisque la grosse Modeste elle-même n’en a rien deviné.