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Comme tout le monde

pour vivre, de se créer des héros. Elle comprit que ce fils défunt, qui, vivant, n’avait pas eu sa place dans le cœur maternel, allait à présent accaparer ce cœur tout entier. Tandis que les deux autres enfants grandiraient différents, étrangers, il serait, lui, l’adolescent éternel, la victime toujours jeune, l’enfant qui ne grandirait jamais plus, qui ne changerait jamais plus, le seul qui ne désillusionnerait pas sa mère meurtrie, comme tous les autres êtres, comme toutes les autres choses l’avaient désillusionnée.

Pour la première fois depuis le jour de la mort, elle se sentit réconfortée. Elle s’était levée. Elle ne pleurait plus.

Redescendue à la salle à manger, elle attendit que les enfants fussent couchés, puis :

— Écoute… commença-t-elle.

Vite, Léon Chardier a jeté son journal. Attentif et vaguement épouvanté, il fait son possible, depuis un mois, pour ne pas contrarier sa compagne hagarde et frappée. Du reste, son chagrin paternel, quoique calme et résigné, n’en est pas moins sincère.

— Écoute… continue Isabelle, tandis que ses grands yeux rougis s’animent dans sa petite figure sévère.

Puis, tout d’un trait :


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