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Comme tout le monde

salon. Elle entra, machinale, passa, par habitude, son doigt sur le piano pour voir si les bonnes y avaient laissé de la poussière, puis souleva lentement le couvercle, joua tout debout une note, deux notes. Un cahier de mélodies était là, sur le pupitre. Sans presque s’en apercevoir, Isabelle s’assit sur le tabouret, esquissa quelques accords, puis, tout bas, chantonna les premières paroles. C’était cette romance de Massenet qui dit :

Une chanson d’amour sort des sources troublées…

Elle fredonnait. Un pas dans le salon la fit se retourner brusquement. Le docteur Tisserand était là, venant d’entrer, qui l’écoutait, étonné. Depuis la mort du petit lion, le docteur venait quelquefois voir Isabelle en passant.

— Vous chantez donc, madame ?… dit-il doucement. Je ne savais pas…

Il s’était approché du piano. Isabelle leva sur lui ses grands yeux roux, dramatisés par des mois de larmes. Une mèche fauve et grise tombait le long de sa joue, touchait son châle noir. Et son visage amolli, jaune, fripé de quelques rides, rendait plus éclatante sa bouche entr’ouverte, restée fraîche comme celle d’une petite fille.

— Chantez-moi quelque chose, voulez-vous ?… dit le docteur.