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Comme tout le monde

complication intérieure, elle se sentait certainement plus légère d’être soulevée par un sentiment si vif. Après la grande simplification du malheur, cette colère inattendue et durable venait l’exalter de nouveau, allégeait le fardeau d’ennui, chaque jour alourdi, dont son âme était chargée…

… Malgré le dégoût, l’indignation, ne te rends-tu pas compte, Isabelle, que c’est de la joie que t’apporte la trahison de ton mari, parce que cette trahison sera désormais pour toi, femme trompée, une occasion unique d’accuser quelqu’un, de mettre enfin en paroles toute cette rancune sans pardon qui te gonfle depuis si longtemps la poitrine ? Que t’importe d’être trompée ? Tu n’aimes ni ton homme, ni l’amour. N’as-tu pas secrètement souhaité, jadis, qu’il eût une maîtresse qui l’occupât, afin que son humeur quotidienne en fût améliorée ? Certes, le vrai scandale, pour toi, c’est que cet état d’adultère n’ait en rien changé ses manières d’être à la maison. Mais que tu répareras largement cinq ans de dommage par le plaisir inespéré d’être harpie et d’avoir le droit de l’être !

À présent, Léon, à table, ne risquait plus un froncement de sourcils, un grognement, sans qu’Isabelle l’écrasât d’un regard féroce.

— Je te conseille de parler, toi !… s’écriait-elle dans un rire ironique.