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Comme tout le monde

des années ajoutées les unes aux autres, et nous nous apercevons, du jour au lendemain, que nous avons, à notre tour, cette expérience dont parlaient autrefois nos aînés.

Les fiançailles de sa fille faisaient sentir à madame Chardier son expérience. Elle la constatait avec surprise, comme quelqu’un de jeune qui se réveillerait, un matin, avec les cheveux blancs. Certes son âme avait des cheveux blancs…

Alors, parce qu’elle était née honnête et consciencieuse, elle se tourmentait. Il lui semblait qu’elle devait à sa fille la vérité, qu’il fallait qu’elle l’instruisît de la désillusion lente du mariage, de même qu’elle l’instruirait, la veille de la cérémonie, des étonnements pénibles de la nuit de noces. Mais elle comprenait bien que toute une vie ne tient pas, comme le récit d’un événement, en quelques phrases, et que ce qu’elle pourrait dire ne servirait à rien ; que l’existence est une chose que chacun doit apprendre personnellement, et que la jeunesse n’a jamais rien retenu des paroles de l’âge mûr. Et le sentiment de son impuissance lui faisait mal.

— Zozo souffrira… pensait-elle tandis que l’enfant jasait et souriait, elle souffrira ! Peut-être pas de la même manière que moi, mais autant, sans doute. Toutes les femmes souffrent… Tout le monde