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Page:Delarue-Madrus - Comme tout le monde.djvu/329

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Comme tout le monde

sont aussi sains que moi. Ma fille aux jolies joues est fiancée avec un homme estimable à l’égal du mien, intelligent et jeune. Les noces se préparent parmi les fleurs et les cadeaux. Mon foyer est en fête. Ma mère va venir au mariage, mon fils aussi. On m’aime bien autour de moi ; mes amies m’apprécient ; mes servantes même me sourient. Ma conscience n’est chargée d’aucune faute. Je n’ai qu’à continuer mon existence privilégiée, qu’à voir grandir autour de moi mes enfants. Je serai grand-mère, peut-être, dans un an !… Les affaires de mon mari prospèrent tous les jours, je suis heureuse !… »

Encore quelques pas, Isabelle arrive dans son quartier. La lueur des réverbères tremble sur les pavés luisants. Personne dans les rues,

« Ai-je mérité mon sort ?… » s’interroge-t-elle.

Sa pensée, toujours vague, s’efforce de s’affermir. Des éléments flottants veulent se précipiter. Elle écoute parler sa conscience profonde.

« Comment ! Tu as cru jusqu’à présent que tu étais malheureuse ! Tu as dit que les autres étaient malheureuses comme toi ! Tu as pleuré sur la souffrance des ménages du monde entier !… Oui, qu’un mari mordille sa moustache et n’ait pas le goût du rêve, qu’une fille soit quelque peu différente de sa mère, que Monsieur n’ait pas un piano à queue et


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