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Comme tout le monde

cueillis au jardin par Isabelle et disposés par ses mains inconsciemment artistes, étalaient leur grâce légère et toute japonaise.

Or, quand on est nouvelle venue dans une sous-préfecture et qu’on a fini d’aménager son salon, le moment est arrivé de commencer la série des visites. Déjà, toutes les dames de la ville connaissent les « tenants et aboutissants » de M. et madame Chardier. Elles savent à quel prix l’étude a été achetée, les opinions politiques du mari, la caste de la femme. Elles attendent une première visite.

Chacune a « son jour » auquel elle tient comme à sa vie. À ce jour, elle reçoit éternellement les mêmes personnes, mais, malgré tout, c’est chaque fois un brin d’émotion quand la sonnette retentit. Et puis la préparation du thé et des petits gâteaux est un souci hebdomadaire, mais aussi une émulation, un jeu. Alors, quand par hasard une nouvelle volaille entre au gentil poulailler provincial, la petite fièvre de la réception augmente.

Isabelle était donc attendue avec impatience. Le vieil avoué, prédécesseur de Léon, lui avait remis la liste, ce papier redoutable, espèce de casier judiciaire des petites villes. Sur cette liste, se lisent les noms « des personnes qu’on doit voir et des personnes qu’on peut voir. »