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Comme tout le monde

Isabelle sent son cœur se déchirer dans sa poitrine. Haletante, la bouche ouverte, dans un abandon total de son être, elle semble boire cette musique qui lui fait mal. Elle se sent en état d’obéissance. Elle est esclave. Elle ne peut plus s’ôter de ce charme qui l’a prise au passage.

Ce n’est pourtant pas pour elle qu’on joue. On ne sait pas qu’elle est là, collée à cette grille comme une voleuse, dérobant ces notes qui tombent, miettes du bonheur des autres. Comme elle voudrait entrer dans la maison, connaître le mari et la femme qui vivent ainsi, isolés, absorbés dans leur art double, heureux…

Isabelle va pleurer. Cet air atténué qui vient à elle est trop insistant, trop doux, trop mineur. Il faut qu’elle s’en aille, qu’elle retourne chez elle, vers sa vie quotidienne sans plaisirs et sans émotions.

Elle retient mal le sanglot exalté qu’un peu de musique inattendue lui tire de la gorge.

— Rentrons !… dit-elle sèchement.


La neige les prit en pleine route déserte. Cela commença par trois ou quatre flocons égarés, puis ce fut immédiatement un tourbillon fou. Zozo