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Comme tout le monde

jours à vide, broyait, comme une inattendue poignée de grains, ces souvenirs fragiles.

Elle avait déjà raconté l’événement plus de dix fois à Léon, qui, maintenant, cessait de l’écouter. Quand elle se retrouvait seule avec Zozo, elle interpellait l’enfant :

— Elle est jolie, la marquise, n’est-ce pas. Zozo ?

Et même la petite bonne dut répéter chaque jour à sa patronne insatiable ses impressions d’automobile.

Isabelle eût voulu toute la journée parler de la marquise. Obligée de refréner son enthousiasme, elle chantait des heures au piano, tout en songeant à sa nouvelle idole. Et toujours un regret tourmentait son cœur, le regret de n’avoir pas su goûter comme il fallait un moment inouï, de n’avoir pas osé parler, d’avoir mal remercié la châtelaine pour sa bonté si simple et si touchante.

Bientôt, un projet naquit dans l’esprit d’Isabelle. Avec l’audace des timides, elle résolut d’aller chez la marquise, au château, sous prétexte, justement, de la remercier. Elle ne pouvait pas ne pas la revoir. C’était impossible.

La ruse originelle et profonde qui est l’intelligence et la grandeur des femmes lui dicta les paroles diplomatiques nécessaires pour écarter les hésitations de son mari. Elle s’arrangea pour que