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La Figure de proue


N’as-tu pas rejeté tes premières bruines
Avec la pomme de tes prés mouillés de mer,
Pour mordre de tes dents neustriennes la chair
Tragique, violente et rouge des sanguines ?

Regarde maintenant : cette mer devant toi,
Derrière toi ce fleuve, à tes côtés ces rives
T’environnent sans bruit comme un reproche froid,
Se demandant pourquoi, ce soir, tu leur arrives.

Qu’as-tu fait du pays intérieur, celui
Qui dans ton âme était l’image de ces choses ?
Qu’as-tu donc respiré, quelles charnelles roses,
Puisque, dans ton regard, ce feu sombre reluit ?

Ici, le monde est demeuré couleur d’opale.
Le sol devient la vase et la vase la mer,
Le fleuve se fait mer, la mer se fait ciel pâle.
Tout s’épouse, se fond, se reflète et se perd,

Et dans cet infini troublé, sirène grise
Aux pathétiques yeux changeants, l’âme du Nord
Demeure à tout jamais ensevelie et prise,
Et, parmi ses lueurs écailleuses, se tord.


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