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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/119

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la mère et le fils

applaudissements ; palpitations ; chimères… Ô misère ! Ô chaussettes tricotées en voyage ! Ô gares noires, hôtels tristes !… Chaque soir, oui, tourner en rond aussi, comme les chevaux, tourner dix minutes en rond, donner sa force, son courage, sa jeunesse, risquer sa vie tous les jours pour la continuation de vieux tours usés comme les airs d’un orgue de Barbarie fêlé, pas encore las de ressasser les mêmes mélodies… Ô monotonie !… Des ronds de cuir. Nous ne sommes que cela !… Et il y a la jeunesse de nos muscles, nos années d’enfance exercée, notre audace, notre science de l’équilibre et de la discipline physique, et il y a la beauté de nos chevaux, abrutis de pas espagnols, de passage et de voltige ; il y a leur cabrade sublime, il y a tout ce qu’on pourrait tirer de leurs actions naturelles et de notre inspiration humaine pour créer de l’art, de la magnificence, du génie !… Pas de génie : le cirque, cette vieille boutique, le cirque et ses falbalas élimés et son bastringue fatigué !…

Hello, boy… Qu’est-ce qui se passe ? Vous êtes en retard !

À la voix de Johny John, il se réveilla comme en sursaut de ses songeries, et précipita ses gestes.

Un instant plus tard, il remontait avec ses deux chevaux à la bride.

Sur la piste, les quatre acrobates, des Allemands aussi, venaient de terminer. Dick, en selle, attendait derrière les rideaux.

— Allons ! Le numéro cosaque à deux !

Les petites Lénin, assises l’une à côté de l’autre, dardaient leurs yeux expérimentés. Leurs parents vinrent les rejoindre, intéressés.

Irénée, au milieu de ses tourbillons, entendit la mère :

— Il travaille bien !

Et, de nouveau, sa vanité puérile l’anima.