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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/125

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la mère et le fils

Des affiches énormes représentaient tant bien que mal Irénée, ou plutôt « Manetto, le roi des écuyers », tombant debout de son trapèze sur un cheval au galop, puis descendant du haut du cirque, verticalement, la tête sur la croupe, et enfin franchissant douze chevaux dans un saut périlleux.

Après Amsterdam, ses canaux, ses musées, l’Angleterre goudronnée où la campagne n’est plus qu’un terrain triste de tennis ou de golf, étonna le petit Derbos, comme elle étonnera tous ceux qui, parlant l’anglais depuis l’enfance et connaissant à fond la littérature anglaise, ne s’attendent pas à trouver, au pays de toutes les poésies et de toutes les conventions, une humanité si formidablement humaine dans des paysages si bien détruits.

Le soir même de son début (qui, avec le numéro du géant et du nain et la séance cow-boy, ne pouvait manquer, chez les britanniques amoureux de sport et d’humour, de susciter les ovations), il trouva à son hôtel tant de lettres, et, dans ces lettres, tant de sortes de déclarations à l’adresse de son courage, de son élégance et de ses yeux bleus, et aussi tant de demandes de rendez-vous, qu’il comprit qu’enfin la gloire lui était venue, une gloire nomade et sans lendemains, comme tout ce qui touche au cirque, mais la gloire quand même, avec tous ses embarras et toutes ses complications.

Non. Pas d’excès. Ni vin, ni amour. Des chevaux, des tours de force, des rêves, des vagabondages dans des rues étrangères, des musées, il avait assez de tout cela pour vivre.

Au bout de huit jours, le cirque J.-J. partit pour Londres.

Londres. Dans la tête du jeune Irénée, ce mot se traduisit aussitôt par : triomphe encore, lettres encore, tumulte de capitale grouillante, British Museum, National Gallery et — nouveauté dans sa vie actuelle — concerts.

Ce fut simplement en lisant un journal. Frappé comme d’une illumination : « Un concert !… Je vais y aller ! »

C’était une séance de piano donnée par Ricardo Vinès. Irénée pouvait en entendre le commencement avant l’heure