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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/138

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la mère et le fils

Elle ne savait pas qu’il lui disait adieu, que, déjà, les narines dilatées, il respirait de nouveau, bien loin d’elle, de son luxe, de ses parfums, de ses caresses, l’air enivrant et glacial de la liberté solitaire.

Elle l’attendit longtemps à la porte du cirque, après la représentation du lendemain, puis, angoissée, finit par s’informer, avec bien de la peine, car il n’y avait plus, dans l’établissement, qu’un gardien grognon.

Il était parti depuis près d’une heure.

Elle courut à son hôtel. Il avait déménagé sans donner l’adresse de son nouveau gîte.

Le regard dur, les joues vertes, il essayait, seul dans le manège avec son cheval, de retrouver la joie âpre du travail, d’aimer la sciure, l’odeur d’écurie, ses vieux habits, ses vieilles bottes.

Pour la première fois, à la représentation de la veille, lady Hampton n’avait pas paru dans la loge d’honneur. Découragement ou tactique ? Irénée se le demandait avec rage.

Arraché de son plaisir par sa propre volonté, son orgueil était satisfait ; mais ses sens qui redemandaient l’amour le faisaient souffrir ; et toute sa jeunesse était cabrée comme une bête révoltée.

Abandonné depuis ces quelques jours, l’étalon arabe avait perdu de son nouveau dressage. Irénée, nerveux, le brutalisait, avec la sensation que, corrigeant son cheval, c’était lui-même qu’il corrigeait.

Quelle lutte !

L’animal couvert d’écume, le garçon couvert de sueur semblaient, aujourd’hui, décidés à s’entre-tuer entre ces quatre murs tristes.

Comme la porte fut poussée :

— Je ne veux personne ici !… s’emporta-t-il. J’ai loué le manège pour moi seul !… Pour moi seul !… Vous entendez !

Et puis il cria tous les jurons anglais qu’il savait à la face ahurie du palefrenier hésitant. Son cheval piaffait sous lui.