Aller au contenu

Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
158
la mère et le fils

nous l’avons vu au concert. Grand rasé, le front énorme, les cheveux fous, frisés, noirs, des yeux d’Oriental, les pommettes hautes et accentuées, le teint très pâle, la bouche mince et sarcastique, le nez presque Kalmouk — un étranger, en un mot. Il parle correctement le français, avec un accent très prononcé qui roule les R.

— Une aventure, vous avez bien raison ! Il faut que la musique soit plus forte que tout pour que je sois à ce point sortie de ma manière d’être habituelle. Mais mon mari m’encourage, très flatté d’avoir reçu à sa table une telle célébrité. S’il en était autrement, vous pensez bien que ma mélomanie elle-même ne tiendrait pas devant un froncement de sourcils. Du reste, je suis sûre de moi ! Vous n’oubliez pas que je suis une ex-future religieuse ? Et puis, le pauvre Obronine est à cent lieues de penser à me faire la cour. On sent qu’il n’aime que son violon — et comme il fait bien !

En hâte aujourd’hui, toujours tendrement.

Marie.
Ce lundi.

Quelle joie de vous voir arriver, Marguerite chérie ! Nous allons avoir de vraies petites fêtes musicales à vous donner, car Obronine est revenu ; et il a dit qu’il reviendrait chaque samedi — votre présence sauvera mon pauvre Paul, noyé dans les flots d’harmonie qui l’endorment — mais comment résister à ce Russe sans façons ? « Cher, a-t-il dit à Paul, ne m’appelez plus monsieur, mais Sacha. Chez nous, c’est le diminutif d’Alexandre. » Et il a ajouté, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde : « Et vous aussi, ma dame. » (Lettre déchirée à cet endroit).

En marge, de l’écriture de tante Marguerite :

Une colère d’Édouard a détruit le reste de cette lettre, et toutes les autres. Vous savez bien, Marie chérie, que notre intimité l’agaçait. Je n’ai donc pu vous renvoyer, avec l’autre chose, que cette partie sauvée de votre correspondance de