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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/168

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la mère et le fils

fois, obsédant, implacable ne veut pas que soit enfin terminée la danse hallucinée.

Une ruade finale. Silence subit, total : ténèbres absolues. La musique s’est tue, les flammes se sont éteintes. Au même instant, une lueur d’aube commence dans le fond obscur.

Calme sur son immobile et sombre cheval, Irénine réapparaît dans ses voiles, revenus, hors des projections on doyantes, à leurs couleurs naturelles qui sont le brun et le roux foncé ; Irénine n’est plus, au centre de la scène où le jour se lève derrière lui, qu’une statue de bronze, une statue équestre, figée là pour toujours. Doucement le rideau descend dans un mutisme de mort. Ni la bête, ni l’humain n’ont plus même un frémissement.

Un hurlement d’admiration fit exploser la salle entière.

Le génie, quand il éclate avec cette autorité de tonnerre, force la foule la plus disciplinée à lui répondre par des moyens de primitifs. Les snobs eux-mêmes crevaient leurs gants, trépignaient, les femmes ligotées de perles criaient comme des sauvages.

Quand Irénée revint, en pleine lumière, sur son cheval couvert d’écume, le délire augmenta, contre toute possibilité. Des bouquets volèrent, des gants, des écharpes, tout ce qui tombait sous les mains frénétiques. La clameur unanime épouvantait le cheval frissonnant.

Sur la scène aménagée pour les circonstances, couverte de ce tapis de cirque non soupçonné tout à l’heure, le petit cavalier dut revenir indéfiniment. On finit par laisser le rideau baissé, malgré les rappels qui continuaient. Le programme avertissait que le spectacle reprenait au bout de trois minutes et qu’il ne fallait pas quitter la salle. Or, il y avait presque une demi-heure qu’Irénée saluait.

La seconde danse fut immaculée et lente.

Irénine, dans un clair de lune, venait, couronné de myrtes, vers les spectateurs, sur un adagio de Gluck, du fond de la scène où des nuages de tulle s’écartaient sur son passage. En le voyant surgir, drapé de lins très légers, sur son cheval de neige, savaient-ils tous que cette évocation impressionnante