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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/20

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la mère et le fils

il l’attendait remplit la poitrine d’Irénée jusqu’à le gêner dans sa respiration.

La folie qui l’avait conduit jusque là, lui apparaissait brusquement tout entière. Il évoqua sa mère, sa maison, toute sa vie ; et ses oncles, hobereaux entichés, il les entendit prononcer dédaigneusement : « Mes gens ! » en regardant par-dessus leur épaule. Mais n’y avait plus à reculer. Il réprima le petit rire qui cherchait le coin de ses sarcastiques lèvres, et proféra :

— Alors, madame veut-elle me mettre tout de suite au courant ?

Et, dès qu’il eut dit ces mots, il sentit qu’un amusement prodigieux commençait pour lui.

— Je vais sonner Albertine !… s’empressa Mme Maletier, en faisant quelques pas. Moi, j’ai à sortir, mais elle va vous expliquer tout.

Albertine parut, haute, maigre. Ses yeux de jais étaient ronds et méchants dans une face blême où la moustache paraissait plus noire.

« Moi, le peu que j’en ai, je le rase ! » pensa le petit.

— Voilà Albertine, la cuisinière ! dit Mme Maletier avec cette sorte d’amabilité condescendante qui, dans la bonne humeur, fait parler les maîtres à leurs domestiques comme à des enfants. Vous voyez, Albertine, nous avons un nouveau valet de chambre. Jules… c’est bien votre nom ? Jules entre tout de suite. Qu’est-ce que vous voulez !… Nous pouvons toujours essayer ! Ce n’est plus possible de rester comme ça… (Un sourire.) Voilà bientôt cinq ans qu’Albertine est chez nous, et je crois qu’elle ne s’y déplaît pas. Nous, nous l’aimons beaucoup (une lueur dans les yeux de jais), et nous espérons la garder toujours… Enfin, voilà !… Oh ! je suis déjà en retard !… Vous pouvez aller avec elle. C’est ça… Dites !… Le déjeuner pour une heure exactement, Albertine ! Monsieur me l’a recommandé. À tout à l’heure !