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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/140

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LE PAIN BLANC

pouvait encore s’en aller, elle allait s’exercer à ne plus manger que de pauvres choses, abandonner l’auto, s’habituer à se lever très tôt, à prendre des autobus et des métros, à marcher à pied.

Cette décision lui fit d’abord du bien. La pratique lui sembla telle que, le premier soir, revenant des courses, sans but qu’elle avait faites dans les rues, fatiguée d’avoir attendu l’autobus, de s’être levée trop tôt, d’avoir erré toute seule dans Paris, de n’avoir pas assez mangé, les sanglots la reprirent misérablement.

Elle ne dormit pas, pleura toute la nuit. Elle eut pourtant le courage de se lever à l’heure qu’elle s’était fixée. Mais, quand elle voulut sortir, ses forces la trahirent. Éreintée, malade, désespérée, elle s’assit sur son lit, convulsée de chagrin, si seule et si perdue qu’il était impossible d’imaginer créature plus pitoyable.

Elle en était là. Ce fut encore la femme de chambre.

— Mademoiselle veut-elle dire où se trouvent les musiques de Mlle Hachegarde ? Elle en rapporte qui sont à Mademoiselle, elle voudrait reprendre les siennes. Mais elle ne veut pas du tout déranger Mademoiselle…

— Si !… Si !… Priez-la d’entrer, au contraire !… s’écria la petite Arnaud.

Elle ne savait pas pourquoi. Besoin désespéré de voir un visage sympathique, subite inspiration, instinct.

— Oh ! mademoiselle Hachegarde, si vous saviez !…

En silence, arrêtée au milieu de la chambre, la grande fille hâve la regardait. L’expression de ses yeux était si belle qu’Élysée se leva, se jeta dans ses bras avant d’avoir pensé son geste.

— Mademoiselle Arnaud !… Votre père… Votre père… Il était si bon… Il vous aimait tant…

Elle berçait contre elle la sanglotante orpheline. Elle ne savait rien. Elle pleurait pourtant.

— Mademoiselle Hachegarde, mademoiselle Hachegarde, vous êtes venue, vous êtes là… Ne m’abandonnez pas !… Emmenez-moi chez vous ! Je ne peux plus rester ici ! Je n’ai plus personne !… Je vais mourir de chagrin !… Emmenez-moi chez vous !…

Elles furent, sans le savoir, assises toutes deux sur le lit, côte à côte. Égarée, Élysée racontait tout, livrant son secret avec passion, avec des cris de douleur et de délivrance. Elle ne pou-