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rédalga

Sa tête s’abandonnait au creux des paumes. Elles parurent déborder de grappes de raisin violet. Il avait des petits yeux comme de cristal dans un maquis de cils noirs. Entièrement rasé, son masque était rude et sain.

La contemplation du spectacle électrique sur l’écran des vitrages reposa son grand corps. Il sentit du même coup qu’il était très fatigué. Jamais on ne s’en aperçoit pendant le travail.

Une nuit subite ayant envahi, les éclairs furent bleus et leurs brisures pointues se dessinèrent avec exactitude. Parmi ces géométries lumineuses, les éclats, roulements et déchirures de la foudre exagérèrent longtemps leur fracas de Jugement dernier, jusqu’à cette pluie formidable écrasée sur le verre.

En se redressant pour s’asseoir :

« C’est drôle un pareil éreintement !… pensait Harlingues. Je finirai par me claquer, moi ! »

Il regarda son atelier, étonné comme s’il eût fait connaissance. Désordre et saleté. C’est le décor ordinaire de la sculpture.

La meilleure moitié de sa jeunesse, déjà, s’était passée là-dedans, à piétiner dans le plâtre. Il fixa longuement, au centre de la cuve de glaise, la pelle fichée à même et restée debout. Une chaise de cuisine boitait, un petit poêle se rouillait dans le fond. Sur des planches, des maquettes et des moulages montaient jusqu’au haut des quatre murs. Il y avait des selles, armatures, blocs d’argile neuve, des boîtes sans couvercle pleines d’outils boueux, des caisses d’emballage démolies, de la paille, des loques, un seau d’eau sale.

Quatre immenses plâtres, statues dont deux terminées, faisaient les fantômes au milieu.

Les coudes sur les genoux, voici Jude Harlingues. Il hoche la tête, et son visage amer est celui d’une dupe.