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Car, somme toute, le moulage est un attentat. Cruellement, il ensevelit das son sépulcre blanc cette glaise amoureusement pétrie, et qui semblait garder encore la moiteur des mains créatrices.

Condition monstrueuse de l’infortunée sculpture ! L’original, à vrai dire, est à jamais sacrifié. Du moule à creux perdu qui l’imprime, il sortira tragiquement par morceaux, à la façon d’un enfant trop gros pour la mère, et que les médecins arrachent comme ils peuvent du sein qui l’a formé. Des semaines, des mois, parfois des années de travail sont à la merci d’une erreur, d’un accident. C’est pourquoi le rôle des mouleurs est plein de responsabilités terrifiantes.

Heureux ceux qui, comme l’Espagnol Hernandez, ce statuaire de génie, ont pris le parti de tailler directement dans la pierre ou le granit. Ceux-là ne connaîtront pas la douleur de voir leur cher travail sombrer dans la catastrophe nécessaire et méthodique après laquelle ils n’auront plus devant eux, pour dire toute la vérité, qu’un décalque de leur statue, et non celle qu’ils façonnèrent au prix de tant de peine et d’ardeur.

Samadel, tranquille et souriant, établissait son fil sur le premier lait, puis le couvrait, opération qui doit être faite avec précision et hâte, car le plâtre prend vite et le moment où le fil est prêt à être tiré ne dure qu’un instant avant la pétrification définitive.

Ensuite, ce fut le recouvrement à pleines mains, le naufrage de l’argile à forme humaine sous les stalactites et stalagmites du plâtre.

Appuyé contre sa fontaine en chantier, Harlingues regardait cette mise au tombeau du visage maternel. Une triste allusion aux funérailles occupait son esprit. Il savait que, tout à l’heure, la ressemblance avec l’enterrement serait plus directe encore, quand la voiture de Samadel emporterait le moule et qu’une place resterait vide dans l’atelier.