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Il se répétait avec entêtement que Mrs Backeray n’était pas revenue, qu’elle ne reviendrait sans doute jamais, qu’elle était peut-être repartie pour l’Angleterre, ou simplement changée d’hôtel ; que, quoi qu’il en fût, il ne la reverrait pas.

Après tout, peut-être, était-ce mieux pour lui ? Tranquille et seul, pourquoi s’embarquer sur le navire hasardeux de l’aventure amoureuse ? Il était encore temps d’oublier cette femme, d’éviter la tempête menaçante. Pendant quelques minutes, il se félicitait lâchement. Un moment après, un regret le torturait. Et c’était la première fois de sa vie que son esprit était plein d’un être féminin qui ne fût pas une statue.

— Rodrigo trouvera bien moyen de la retrouver, lui !

Cette pensée stimulait son désir de la revoir. Un peu de malhonnêteté s’ajoutait à ses sentiments troubles, C’était Rodrigo qui l’avait découverte, c’était Jude qui voulait l’accaparer. Était-ce sa faute ? N’avait-elle pas fait le premier pas ?

Fébrile, il tendait sans cesse l’oreille vers les bruits du dehors, et, par instants, il lui venait un sourire faux en constatant une telle agitation. Quelle importance elle prenait tout à coup, cette femme ! Hier encore, ce n’était qu’une épave sans intérêt, une passante…

Il savait bien que l’imagination seule travaillait, jusqu’à présent, et que le cœur n’y était pas pour grand’chose, non plus que le désir. Ce n’était pas une passion, mais plutôt l’espoir d’une passion, un flot de vie inconnue qui voulait bondir en lui. Somme toute, à son âge, il pouvait dire qu’il n’avait encore jamais connu l’amour.

Au bout de deux heures d’un labeur concentré, la porte, en s’ouvrant, le fit sursauter, devenu pourpre.