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Le Herpe déploraient qu’il fût tombé chez des gens tels que les Bucaille.

Delphin n’avait pas prévu cette attitude. Il la fit cesser d’un mot, avant que Ludivine eût eu le temps de s’apercevoir qu’on la recevait mal.

— V’là mes frères, et v’là ma sœur ! dit-il.

Et le ton qu’il eut en faisant cette présentation fut tel que les autres se virent bien forcés de tendre la main.

Ludivine donna la sienne avec gêne. Roturière reçue chez des nobles, elle sentait bien dans quelle hautaine aristocratie on la faisait pénétrer. Comme tous les gens du port, elle se plaisait à railler les paysans, les paisans, mais elle les savait distants, froids, jaloux, extrêmement, de la dignité de leur caste.

— V’nez-vous pour le lait d’mai ?… demanda la fermière, qui devinait.

Et ce fut avec des rires qu’on apporta des bols et qu’on s’approcha des vaches.

Les fermiers ne voulaient pas, au petit, dire un mot de ses parents morts, pour ne pas lui faire de la peine. Il paraissait heureux dans sa nouvelle famille. Ils en pensèrent ce qu’ils voulurent, et ne parlèrent que du temps qu’il faisait.

Les quatre burent dans l’aurore, comme le veut la tradition. Et la campagne autour d’eux, toute brumeuse dans son soleil naissant, semblait aussi baigner dans le lait de mai.

Les fermiers refusèrent le paiement proposé par Delphin ; et la fermière, en l’embrassant pour le départ, lui dit qu’il fallait revenir quelquefois les voir.

L’accueil avait été, somme toute, aimable. Ludivine, de bonne humeur, se mit à chanter aussi, dès qu’ils reprirent la route.

— Y z’ont bien connu la famille de maman !… dit le mousse.

Et, non sans orgueil, il ajouta :

— Maman était de la culture, elle !