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Le lendemain, voyant Delphin trop conquérant, la petite se moqua de lui.

Malheureux Delphin ! Plus de vingt fois en quelques mois il devait reprendre et laisser son bateau. Ce pieux bibelot devenait comme le signe de ses divers battements de cœur. Destiné à la Vierge Marie, l’ex-voto inachevé restait sans cesse en souffrance aux pieds d’une humaine, d’une étrange petite madone aux yeux trop clairs, qui faisait un jour son miracle pour le défaire le jour suivant.

L’été passa, puis l’automne. L’hiver revint avec sa pêche plus rude et plus active. Vers la fin de l’année, un matin, la femme Bucaille eut la mauvaise surprise de recevoir la facture du voilier. Peu à près vint celle du cordier, suivie de celle du peintre. Depuis si longtemps ces sommes étaient dues qu’on avait fini par les oublier. Les visages s’assombrirent au logis. Ludivine cria, Bucaille s’emporta, la grêlée pleura, Delphin soupira ; mais les factures ne furent pas payées.

— À queuque jour on nous enverra l’huissier !… conclut Ludivine, outrée.

Mais, une quinzaine plus tard, personne n’en parlait plus.

Le peuple est insoucieux de sa nature, ce qui contribue à sa grande fraîcheur d’âme. Ludivine se remit à chanter, Delphin à travailler son ex-voto. Cependant la mère ayant été demandée comme laveuse dans un des hôtels du port accepta cette place, et l’on ne la vit plus dans la maison que le soir.

« Ludivine n’a plus besoin de moi pour tenir le ménage, avait-elle dit ; et cet argent-là servira pour donner des acomptes au voilier, au cordier et au peintre. »

Et la vie redevint tranquille, ou à peu près.

Un jour… Seule dans la cuisine, les enfants étant à l’école, les hommes à la pêche et la mère dans son hôtel, Ludivine, tout en accomplissant ses menues besognes de ménagère, ne peut s’em-