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Quand cela eut trop duré, Delphin se leva d’un coup sec et se dirigea vers la porte pour sortir.

— Ah ! mais !… réclamèrent les petits en courant à lui, et ton bateau qu’tu dois finir de peindre aujourd’hui !

En mordant sa lèvre inférieure, il secouait la tête, tandis que ses mains repoussaient doucement les enfants.

— Non ! non !… répétait-il d’une voix où il y avait déjà des larmes, j’le finirai pas aujourd’hui.

La protestation des deux garçonnets fut véhémente et tapageuse. Accrochés à la vareuse du mousse, ils suppliaient, pleurant presque.

— Mais puisque t’as l’temps d’ici la marée ?… Puisque tu n’as presque plus rien à y faire, que t’as dit que dans huit jours il entrerait dans la bouteille !

Sans les écouter, il mit la main sur la porte, pressé de s’en aller, de fuir sans savoir où.

Ce fut Ludivine qui lui barra le passage. Ses yeux moqueurs l’enveloppèrent tendrement.

— Qui qu’t’as ?… demanda-t-elle entre haut et bas. T’es jaloux ?

— Non !… répondit-il avec violence.

Car c’est le propre des jaloux de toujours nier énergiquement dès qu’on leur pose la question.

Dominatrice, amusée, elle le considérait. Il était sa proie sans défense, sa possession plénière. Elle pouvait à son aise le torturer, le regarder souffrir sous ses yeux cruels.

Elle fut tentée de continuer ce jeu supérieur. Mais, comme il avait le menton sur la poitrine, elle vit, le long de sa vareuse bleue, tomber une lourde larme. Alors, remuée, soudain débonnaire :

— Allons !… dit-elle maternellement, est fini. Viens continuer ton bateau, va !

Mais, sans répondre, sans la regarder, le mousse, en colère pour la première fois de sa vie, sortit brusquement, claquant presque la porte derrière lui.